Pour beaucoup, le premier réflexe est de « laisser le dos se reposer » et d’attendre que le lumbago disparaisse, mais rester allongé et limiter ses activités quotidiennes, voire professionnelles, n’est pas efficace. Bien au contraire. « Il y a 40 ou 50 ans, l’alitement était préconisé en cas de lombalgie. Mais des études sérieuses ont montré au début des années 1990 que les patients qui se reposaient seulement un ou deux jours récupéraient plus vite que ceux qui restaient alités durant plusieurs jours ou semaines », indique le Pr Emmanuel Coudeyre, chef du service de médecine physique et de réadaptation au CHU de Clermont-Ferrand. Entre 3 et 12 semaines après l’apparition du lumbago, l’intensité des douleurs et l’invalidité chez les patients alités sont plus élevées que chez ceux qui ont poursuivi leurs activités quotidiennes. En conséquence, le repos et surtout l’alitement prolongé favorisent la chronicisation des douleurs lombaires. Dès lors, le mouvement et la reprise d’une activité physique le plus rapidement possible sont devenus les nouveaux paradigmes de prise en charge de la lombalgie.
Le cercle vicieux de la douleur
La peur du mouvement entretient les douleurs et compromet la guérison.
Pourquoi faut-il bouger ?
Pour profiter d’un effet antidouleur
Lors de l’exercice physique, les neurones produisent des endorphines, des hormones antidouleurs, mais aussi de la sérotonine, la molécule dite de l’énergie et de l’éveil. Ces molécules ont des propriétés analgésiques : elles sont capables d’inhiber la transmission de l’influx nerveux douloureux. Ces messagers chimiques agissent également sur le mental et améliorent l’état de bien-être général. En outre, l’activité physique a des effets anti-inflammatoires locaux. Lors d’un effort, des molécules sont sécrétées et viennent contrer les substances pro-inflammatoires qui augmentent la sensibilité des nerfs. Ces bénéfices mettent du temps à se faire sentir. Au début de la pratique de l’exercice physique ou de la reprise des activités quotidiennes, la douleur peut même être exacerbée. Mais cela n’est pas le signe d’une aggravation, et il ne faut pas abandonner. Dans quelques jours, les récompenses seront là.
Pour lutter contre le déconditionnement
« Moins vous en ferez, et moins vous en ferez, car moins vous solliciterez une articulation, plus elle va se raidir, se déstabiliser par insuffisance musculaire et plus elle sera douloureuse », déclare le Pr François Rannou, chef du service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis à l’hôpital Cochin, à Paris. De fait, le repos prolongé entraîne un déconditionnement physique. Les muscles perdent en endurance, en souplesse et en force, les articulations se raidissent, le risque de dépression augmente, ce qui entretient les douleurs. Chez les seniors, l’alitement est encore plus délétère : ils perdent environ 1,5 kg de muscles en dix jours en cas de repos forcé ! Ils s’affaiblissent donc rapidement et éprouveront de grandes difficultés à reprendre leurs activités quotidiennes. Aussi, en cas de lombalgie aiguë, il est préconisé de vivre le plus normalement possible dès que la douleur s’atténue pour éviter ce déconditionnement.
Ce dernier est souvent déjà présent chez les patients lombalgiques chroniques. Ils présentent fréquemment des raideurs au niveau des jambes, qui peuvent entraver la bascule du bassin, ce qui accentue les douleurs dans le bas de la colonne vertébrale. L’enjeu est alors de les reconditionner à l’effort afin qu’ils regagnent en souplesse et mobilité. Pour cela, la pratique régulière d’exercices physiques est primordiale, en plus des activités quotidiennes. L’effort visera à améliorer le fonctionnement du cœur et des poumons, à développer et renforcer tous les muscles, en particulier ceux du dos comme les muscles extenseurs du rachis qui longent toute la colonne vertébrale.
Pour contrer la peur du mouvement
Lorsqu’une douleur s’installe, il est normal d’avoir peur de l’exacerber en faisant certains mouvements. Mais si cette crainte persiste, elle menace le rétablissement. C’est ce qu’on appelle la kinésiophobie (voir encadré ci-dessus). Chez les patients lombalgiques chroniques, ce phénomène est un des principaux freins à la guérison. « Les patients deviennent hypervigilants et anticipent tous leurs gestes et éventuelles sensations douloureuses. En conséquence, ils évitent certains mouvements, modifient leur façon de bouger, contractent inconsciemment tous les muscles du tronc pour protéger ce dos qu’ils pensent fragile. Or ce mécanisme génère un cercle vicieux et renforce la lombalgie », décrit le Dr Bailly. En effet, de nombreux travaux rapportent que les patients lombalgiques sollicitent davantage leur sangle abdominale et leurs muscles lombaires pour marcher, se baisser ou ramasser un objet que les personnes n’ayant pas mal au dos. Et, lorsque le mouvement s’arrête, ils ne relâchent pas leurs muscles. Cette contraction excessive accroît les tensions musculaires et entretient les douleurs.
Ce mécanisme de protection perturbe aussi le système de la douleur. « La douleur est avant tout un signal d’alerte. Mais en cas de douleurs chroniques, ce système de protection est déréglé et trop sensible. Le mal a été mémorisé par les circuits neuronaux, et ces derniers transmettent des messages douloureux au cerveau alors même que la personne n’a pas effectué de mouvement douloureux », explique le Dr Bailly. Pour éviter que la douleur ne se grave dans les neurones, la meilleure solution est de bouger.
Applications mobiles : que valent-elles ?
Pour encourager les personnes lombalgiques à bouger au quotidien, des applications mobiles, comme « Activ’Dos » de l’assurance maladie ou « Mon coach dos », ont vu le jour. Ces nouveaux outils suscitent un vif intérêt, mais ont peu fait l’objet d’évaluations scientifiques sérieuses. « Une seule étude randomisée de qualité a comparé une application mobile à des conseils écrits. Elle montre qu’après 3 mois de suivi, les utilisateurs de l’appli déclarent des douleurs moins intenses et une amélioration de leurs capacités de mouvement par rapport à l‘autre groupe », indique le Pr Coudeyre qui a participé au développement de « Mon coach dos » et de « eLombactif », des applis encore en cours d’évaluation.
Attention aux idées fausses
À l’inverse, une petite étude conduite auprès de 30 patients par un kinésithérapeute rapporte que l’application « Activ’Dos », promue dans tous les médias, apporte peu de bénéfices. Il constate, en effet, qu’après un mois d’utilisation, ni les douleurs ni les capacités fonctionnelles des patients n’ont été améliorées, qu’elle soit utilisée seule ou en plus de la kinésithérapie. En outre, il relève que l’appli véhicule des messages « paradoxaux, tantôt rassurants et tantôt inquiétants ». Elle martèle aussi de fausses croyances en affirmant que rester avachi dans son canapé comprime les disques intervertébraux ou que « les mauvaises postures sont responsables du mal de dos ».
Comment bouger ?
Dès que la douleur diminue, il faut se remettre en mouvement. Si besoin, la prise d’antalgiques, et en premier lieu de paracétamol (ne pas dépasser 3 g par 24 heures en automédication, 4 g sur avis médical), est recommandée pour faciliter la reprise des activités. Pour commencer, marcher à son domicile suffit. Puis progressivement, vous pouvez descendre les escaliers, vous promener, faire vos courses, etc. Bref, refaire des gestes du quotidien permet de venir à bout d’une lombalgie aiguë. En ce qui concerne la lombalgie chronique ou récidivante, la mise en place d’un suivi avec un kinésithérapeute, ou une équipe multidisciplinaire lorsque la lombalgie est devenue un réel handicap, peut s’avérer nécessaire et bénéfique.
Réapprendre avec le kinésithérapeute
Les thérapies de kinésithérapie seules comme le massage, par exemple, n’ont pas montré leur efficacité à long terme pour soulager la lombalgie. Elles peuvent atténuer la douleur, détendre les muscles, mais les bénéfices ne seront que de courte durée. Les techniques ayant fait leurs preuves font appel à la participation active des patients et à la réalisation d’exercices supervisés de renforcement musculaire et d’assouplissement.
Le rôle du kinésithérapeute est aussi de lutter contre la kinésiophobie. « L’un des premiers objectifs est de montrer au patient qu’il peut bouger sans exacerber ses douleurs et que le mouvement n’est en rien responsable de son mal de dos. On cherche ensemble des mouvements non douloureux. Par exemple, s’il n’arrive pas à ramasser un objet en étant debout, je vais lui proposer d’essayer de le faire assis », explique Vincent Girod, kinésithérapeute. Puis, une fois que le seuil de douleur est tolérable, des exercices dits de proprioception peuvent être proposés pour améliorer l’équilibre, mais aussi renforcer les muscles. « Le patient va par exemple soulever des objets de plus en plus lourds, puis les relever au-dessus de sa tête », illustre ce professionnel.
En revanche, contrairement à une idée reçue très courante et une pratique encore répandue, le gainage, ou renforcement des muscles abdominaux, est loin d’être le meilleur exercice. « On a longtemps pensé que la lombalgie était liée à une déficience abdominale. Or il est établi que cela n’est pas la cause mais la conséquence du mal de dos. D’ailleurs, les athlètes et les grands sportifs ne sont pas exempts de lombalgie », décrypte Vincent Girod. Le gainage est efficace comme tout autre type d’exercice, et il ne saurait suffire.
Suivre un programme de rééducation
Pour les patients chroniques les plus lourdement atteints et handicapés par leur lombalgie, notamment ceux en arrêt de travail de longue durée, des programmes de rééducation de plusieurs jours à plusieurs semaines existent. Organisés par les services hospitaliers, ils offrent une prise en charge multidisciplinaire articulée autour de médecins de rééducation, de kinésithérapeutes mais aussi d’ergothérapeutes, de psychologues et parfois d’enseignants en activité physique adaptée (APA). L’accent est mis sur l’éducation thérapeutique pour lutter contre la kinésiophobie et apprendre à mieux gérer sa douleur au quotidien. Les patients sont aussi initiés à des activités physiques variées pour les réentraîner à l’effort. « Notre objectif est de promouvoir leur autonomie et de les aider à retourner vers l’emploi », résume Arthur Placenti, enseignant en APA au service de rhumatologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
Les patients peuvent être dirigés vers ces programmes par leur médecin traitant, le médecin du travail, le rhumatologue ou encore un médecin de médecine physique et de réadaptation. Plus d’une soixantaine de centres à travers le pays proposent ces séjours, qui sont pris en charge par la Sécurité sociale et les mutuelles.
Choisir l’activité qui vous plaît
Dans la vie quotidienne, il est primordial de lutter contre la sédentarité. Marcher pour aller faire ses courses, prendre les escaliers, se lever de son fauteuil au moins 5 minutes toutes les heures pour faire quelques pas et s’étirer… Chaque petit geste compte. à votre bureau, vous pouvez aussi troquer votre siège contre une Gym Ball, un grand ballon d’équilibre ergonomique qui permet de renforcer les muscles du tronc en douceur et de manière ludique.
En parallèle, la pratique régulière d’exercice physique est tout aussi importante. Et le choix est vaste. « Aucune activité physique n’est contre-indiquée ou interdite aux patients lombalgiques. Et rien ne prouve qu’un sport soit plus efficace qu’un autre. L’important est que les patients choisissent une activité qu’ils auront plaisir à pratiquer régulièrement », assure le Pr Coudeyre. Dans le service de rhumatologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, les patients pratiquent la boxe, par exemple. Le yoga, le taï-chi ou encore le pilates ont démontré leur efficacité pour apaiser les douleurs, améliorer la mobilité du rachis ou encore diminuer le stress. Pour autant, ces bénéfices ne sont pas propres à ces activités, mais sont le fait de tous les exercices physiques. Tout est donc possible, à condition de ne pas tenter un exercice trop exigeant dès le début et d’y aller progressivement. La douleur, si elle est présente durant l’exercice, doit rester tolérable. Dans le cas où vous démarrez une activité que vous n’aviez jamais pratiquée auparavant, n’hésitez pas à vous inscrire à un cours collectif ou à vous entraîner avec un coach afin que ces professionnels puissent corriger vos mouvements et s’assurer qu’il n’y a pas de risque de blessure ou d’aggravation des douleurs. Une étude bordelaise a, par exemple, montré que les nageurs effectuant mal les mouvements de la brasse ont davantage de douleurs que les personnes n’ayant pas mis un pied dans un bassin.
Bénéficier de l’activité physique adaptée
Depuis 2017, les médecins généralistes peuvent prescrire sur ordonnance l’activité physique adaptée (APA). Bien qu’elle s’adresse en priorité aux malades en affection longue durée (ALD), les patients lombalgiques peuvent aussi en bénéficier. Encadrées par des professionnels de santé (kinésithérapeutes, ergothérapeutes) ou des enseignants en APA, ces activités peuvent être réalisées à l’hôpital, au sein de structures communales, régionales ou associatives. Les professionnels et les clubs sportifs formés à l’APA sont listés sur le site de toutes les agences régionales de santé (ARS).
Pour autant, prescription ne rime pas avec remboursement. Les patients doivent donc supporter les frais à moins d’avoir la chance de vivre dans une ville qui finance le sport-santé, comme Strasbourg ou Toulouse, ou d’être affiliés à l’une des douzaines de complémentaires santé qui remboursent l’APA, sous certaines conditions. Alors même que l’activité physique est reconnue et recommandée comme le premier traitement de la lombalgie, cette absence de prise en charge par l’assurance maladie est anormale.
Une prise en charge évolutive
Dès que les douleurs apparaissent, on peut consulter. Le médecin cherche à déterminer si la lombalgie est secondaire à une maladie (tumeur cancéreuse, infection, inflammation, etc.) ou à un traumatisme (fracture, tassement vertébral, etc.).
Pas d’examen au début
Si aucune cause n’est retrouvée, la lombalgie est dite commune. Pour calmer la douleur, du paracétamol ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) peuvent être prescrits à la dose efficace la plus faible et pour une courte durée. Quant aux AINS en crème, aux myorelaxants et aux patchs de lidocaïne, ils ne sont pas recommandés. À ce stade, aucun examen d’imagerie (radio, IRM, scanner, etc.) n’est à faire. En 2019, la Haute Autorité de santé a rappelé que l’imagerie n’est pas pertinente en cas de lombalgie aiguë car « la présence de lésion n’est pas systématiquement corrélée à des douleurs lombaires ».
De fait, plusieurs études montrent que les personnes lombalgiques peuvent avoir une IRM normale tandis que des lésions peuvent être retrouvées chez des personnes ne souffrant pas du dos. De plus, les altérations visibles à l’IRM n’expliquent pas toujours les douleurs. Pire, les bilans d’IRM truffés de termes techniques sont contre-productifs : les patients passant une IRM dans les 2 ou 3 semaines après la survenue de leur lombalgie évoluent moins bien que ceux qui n’en ont pas passé.
Si les douleurs persistent
En revanche, l’IRM est indiquée en phase aiguë si les douleurs s’aggravent progressivement, si une atteinte des jambes est observée ou si une déformation de la colonne vertébrale est décrite. Si les douleurs persistent plus de 3 mois, une IRM sera pratiquée. Des séances de kinésithérapie peuvent être prescrites, et des antalgiques plus forts être proposés mais pour une courte durée. Si les douleurs ne s’atténuent pas, le médecin orientera son patient vers un rhumatologue, un médecin de médecine physique et de réadaptation ou une équipe de rééducation.